La Pléaide

1907

Le roman est mis en vente par le Mercure de France le 23 février. Intitulé La Retraite sentimentale, il est signé Colette Willy. C’est la première fois que ce nom apparaît sur la couverture d’un livre.

En tête, un «Avertissement»: «Pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la littérature, j’ai cessé de collaborer avec Willy. Le même public qui donna sa faveur à nos six filles… légitimes, les quatre Claudine et les deux Minne, se plaira, j’espère, à La Retraite sentimentale, et voudra bien retrouver dans celle-ci un peu de ce qu’il goûta dans celles-là.»

Les raisons pour lesquelles Colette n’écrit plus sous la houlette de son ex-mari, Henry Gauthier-Villars, dit Willy, sont déjà connues du public. Le couple est séparé de biens depuis 1905. La séparation de corps, aux torts réciproques, a été prononcée le 13 février 1907. Le 15, Colette signe, seule, le contrat de La Retraite sentimentale. Ce roman, où reparaît la célèbre Claudine, marque un tournant dans sa vie comme dans son œuvre.

La série à succès des Claudine a porté à son apogée la réputation de Willy. Le nom de Colette, en effet, ne figure pas sur les couvertures. La part que chacun des époux a prise à la rédaction des livres demeure mal définie, mais celle de Colette, sans doute moins importante qu’elle ne le dira, est à coup sûr plus considérable que ne le prétendront les amis de Willy. Sido, la mère de Colette, estime, quoi qu’il en soit, que les années que sa fille a passées avec son mari ont donné l’essor à son talent. Mais le temps du travail obscur et des succès par procuration est bien fini. Le manuscrit de la Retraite confirme à peu près les termes de l’«Avertissement»; si l’on y trouve quelques lignes de Willy, on remarque surtout le peu de cas que fit la femme des suggestions du mari. Et le prologue, tout en manifestant le désir de l’auteur de relier ce roman aux précédents, indique qu’il entend mettre un point final à la série.

Pourtant, rien n’est simple. En ce début d’année, alors que la procédure de séparation va son train, Colette appelle encore Willy «ma chère Doucette», et Willy parle d’elle comme d’une «folle charmante, qui me manque et à qui je manque». Cette période est (selon le mot de Pierre Varenne) la «lune de miel de la rupture». Quelques jours après la sortie du livre, Willy en reçoit un exemplaire dédicacé: «À mon cher Willy, sa fidèle amie, Colette Willy, et sa fille qui l’aime, de tout son cœur.» La signature, «Fille», se termine en queue de chat… La formule n’est pas de celles qui accompagnent généralement les divorces, qu’ils soient littéraires ou conjugaux (et celui-là est l’un et l’autre). Mais l’engrenage est lancé. Bientôt, Willy vend au Mercure de France et à Ollendorff les droits des Claudine – à son seul profit. Le ton monte; des amis bien intentionnés s’emploient à rendre les choses irréversibles.

Après avoir lu la Retraite, Sido, qui assimile un peu trop Claudine à Colette et Renaud à Willy, reconnaît que le livre ne donne pas la clef de leur séparation, mais croit deviner que sa fille a beaucoup souffert avec son mentor de mari. Il reste que La Retraite sentimentale n’est pas le roman de la vengeance. Ce roman-là, La Vagabonde, paraîtra en 1910; Colette – qui a obtenu en 1909 le droit de voir son nom figurer à côté de celui de Willy dans les nouvelles éditions des œuvres antérieures – y brossera un portrait accablant de son ex-mari. Mais là n’est pas le plus important. Avec La Retraite sentimentale, un écrivain a pris son envol. À partir de 1913 dans la presse, de 1922 en librairie, on découvrira une nouvelle signature: «Colette», tout court.