La Pléaide

1933

C'est en janvier que paraît le livre, mais il faut remonter à la fin de 1931 pour en retracer la genèse. Cette année-là, à l'automne ou dans l'hiver, Henri Michaux s'embarque pour l'Asie. Il voyage, il écrit. «Reçu des nouvelles de Michaux», déclare Supervielle à Paulhan le 28 décembre ; «Connais-tu quelqu'un à Shanghai ? Il voudrait un mot de recommandation. Il est content de son journal de voyage.»

Ledit voyage durera huit mois. En décembre, Michaux est à Calcutta ; le 3 février 1932, de Chandernagor, il annonce à Paulhan l'envoi de cent pages sur les Indes pour mars-avril : «C'est du bon Michaux. C'est garanti.» Le 13 avril, il prévoit de regagner la France en août. Il est passé par Saïgon («Mais Saïgon quelle horreur»). De Canton part une lettre destinée à Jacques-Olivier Fourcade : «J'écris, j'écris… et renais.» Le 5 mai, autre lettre, à André Rolland de Renéville : «J'avais toujours craint de ne trouver que des pays et des peuples sans importance. Non. Il reste les Hindous & les Chinois. Les autres […] donnent une terrible et invraisemblable impression de vide et d'en l'air…» Michaux est à Singapour en juin, au Caire le 9 août : «Je reviens de Java et Bali», écrit-il alors à Paulhan ; «Savez-vous que tout mon brouillon a été brûlé sur le Philippart […], qu'aucune copie dactylographiée ne m'est parvenue avant juin et maintenant à la veille de paraître en revue tout s'écroule. Bien.»

Il est de retour en France avant le 20 août, date à laquelle il se concerte avec Paulhan au sujet des extraits qui paraîtront en préoriginale dans la NRF les 1er novembre et 1er décembre.

Un barbare en Asie est publié chez Gallimard en janvier 1933. Pour l'occasion, Michaux rédige (à la troisième personne) un long «Vient de paraître», dans lequel il affirme s'être «enfoncé dans la peau des autres» : «Enfin et surtout il a regardé “l'homme dans la rue”, comment on rit, comment on se fâche, comment on marche, comment on fait signe, comment on commande, et comment on obéit, les intonations, les voix, les attitudes, les réflexes (tout ce qui ne ment pas).»

Ni journal ni récit, le Barbare serait plutôt un essai auquel le voyage donne son rythme. Le succès critique est immédiat, mais ce livre sera, et de loin, celui auquel Michaux apportera le plus de modifications, en 1945, en 1967 (édition «revue et corrigée»), et encore en 1984, l'année de sa mort. Il gardera à son égard un sentiment mêlé qu'exprimait déjà le mot adressé à Blaise Cendrars peu après la sortie de l'originale : «Vos remarques sont tout ce qu'il y a de plus juste : j'ai fini en touriste. Après les Hindous, grand choc, j'attendais d'autres chocs. Ils ne sont pas venus. (C'est comme ça qu'on devient presque dilettante et en tout cas touriste).»

La première traduction du Barbare — en espagnol — paraîtra en 1941, à Buenos Aires. Elle sera signée Jorge Luis Borges.