La Pléaide

1940

La NRF, livraison du 1er janvier : Les Voyageurs de l’impériale d’Aragon commence à paraître en « préoriginale », tandis qu’Elsa Triolet publie «Souvenirs de la guerre de 1939». – Dans « Pour saluer l’année nouvelle », Jean Schlumberger note « On voit surgir dans la nuit une grande forme hésitante. On ne distingue encore rien d’elle que sa stature inquiète et redressée. » Elle, c’est évidemment l’année qui commence, « Année qui devra nous sauver deux fois, d’abord des autres, ensuite de nous-mêmes ».

1er février : Drieu la Rochelle, « Maurras ou Genève » (allusion à son livre de 1928, Genève ou Moscou) : « Ce qu’il y a de plus grave dans le système de Maurras, c’est qu’il revient au principe de l’équilibre européen, c’est-à-dire des blocs les uns contre les autres. Donc, course aux armements, guerre. » La fin du texte est censurée. – Mobilisé, Armand Petitjean signe de son seul prénom le début de ses souvenirs de guerre : « Rien n’aura été moins surprenant et, quoi qu’en aient voulu faire certaines imaginations, moins apocalyptique que les débuts de la guerre où nous nous installons. » – Deux lignes de Jean Guérin, alias Jean Paulhan, sur L’Homme qui a tué Hitler (Éd. de France) : « Mais ce n’était qu’un sosie, au service du Führer. Il faudra être plus malin la prochaine fois. »

1er mars : Sartre évoque Choix des élues de Giraudoux. – Marcel Arland chronique Gilles, paru en 1939 : « c’est l’adieu de Drieu la Rochelle à sa jeunesse, et tout à la fois un témoignage et un jugement sur une époque. »

1er avril : « Double malfaisance », de Julien Benda : « Les communistes français, en approuvant le pacte germano-russe, n’ont pas seulement trahi la France : ils ont porté un coup terrible à la classe ouvrière. » – Chronique de Denis Marion sur Mr. Smith va au Sénat de Frank Capra.

« S’il y a des gens qui pensent que La NRF devient communiste quand elle publie un poème d’Aragon, fasciste avec vous, radicale avec Alain, pacifiste avec Giono et guerrière avec Benda, eh bien, ce sont des sots », écrit Jean Paulhan à un Drieu consterné par la publication des Voyageurs de l’impériale dans la revue. Le même Paulhan confie à Jean Grenier qu’il songe à publier dans chaque numéro un texte justifiant ses choix éditoriaux ; le premier s’intitulerait « Pour la liberté de l’esprit en temps de guerre ».

1er mai : long essai de Bernanos : « Nous retournons dans la guerre ainsi que dans la maison de notre jeunesse. Mais il n’y a plus de place pour nous. […] L’esprit de l’Avant est un esprit de guerre, celui de l’Arrière est un esprit de guerre civile. »

10 mai : début de l’offensive allemande. – 30 mai : dans son Journal, Drieu se déchaîne contre la NRF, contre Gaston Gallimard, contre Jean Paulhan, « un petit pion, un petit fonctionnaire, pusillanime et sournois, oscillant entre le surréalisme hystérique et le rationalisme gaga de la République des professeurs ».

1er juin : dernière chronique de Caërdal (André Suarès), sur la chanson française. – Jean Paulhan publie « L’Espoir et le Silence » : « Certes l’une des plus grandes forces que le monde ait vues s’est dressée contre nous. Prenez garde cependant que c’est une force joyeuse, élevée pour le pillage et pour la victoire. […] Ce silence n’est pas moins dû à nos amis qui se battent dans les flammes, et pour qui, il n’est pas d’autre mot, nous prions. »

La NRF cesse de paraître.

13 juin : Paris, ville ouverte. – 14 juin : les Allemands y font leur entrée. – 21 juin, Drieu pense que la  NRF va ramper sous [s]es pieds ». Otto Abetz compte en effet sur lui pour la contrôler. Gaston Gallimard espère préserver sa maison de toute ingérence allemande en laissant provisoirement les rênes de la revue à l’auteur de Gilles, sur qui il pense pouvoir peser. Paulhan, qui va s’engager dans la Résistance, refuse une éventuelle codirection. Il joue un jeu complexe, aidant discrètement Drieu pour éviter une collaboration à outrance, tout en le surveillant, et quitte à l’abandonner « s’il y a lieu ».

1er décembre : La NRF reparaît. Directeur-gérant : Pierre Drieu la Rochelle.