La Pléaide

À la une

1985

Le 17 octobre à 13 heures, la nouvelle tombe : le prix Nobel de littérature 1985 est attribué à Claude Simon. À la troisième ligne du communiqué, avant même que ne soit caractérisée l'œuvre du lauréat, figure la formule attendue : «nouveau roman» ! (Elle occupera la même place dans le discours du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, le jour de la remise du prix.) Alain Robbe-Grillet est d'ailleurs en embuscade à la cinquième ligne. Faulkner et Proust, «les avant-coureurs», sont ex æquo aux alentours de la douzième ligne, ce qui n'est pas si mal : Dostoïevski, lui, est presque enterré au milieu du deuxième paragraphe.

On diffuse en outre une biographie, où sont notamment signalées les activités viticoles de l'écrivain, activités auxquelles les titres de la presse suédoise feront écho : Un Vigneron qui peint (car il peint aussi, c'est dit dans la biographie), Le lauréat Nobel alterne la viticulture et l'écriture, etc. D'autres titres, plus alarmants, signalent que ledit lauréat pourrait bien être un écrivain difficile.

Ce même jeudi, à Salses, dans les Pyrénées-Orientales, un homme de soixante-douze ans vient de recevoir le coup de téléphone du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise. Il est heureux, probablement ému. Il n'a pas l'air difficile, ni blasé, ni solennel. C'est un immense romancier et, curieusement, cela ne se voit pas. De plus, il ne fait pas son âge — mais après tout tant mieux : les télévisions commencent à arriver.

À défaut d'être solennel, Claude Simon serait-il malicieux ? Dans le discours qu'il prononce à Stockholm le 9 décembre, jour de la remise du prix, il évoque « les médias de [s]on pays [qui] couraient fébrilement à la recherche de renseignements sur cet auteur pratiquement inconnu, la presse à grande diffusion publiant, à défaut d'analyses critiques de [s]es ouvrages, les nouvelles les plus fantaisistes sur [s]es activités d'écrivain ou [s]a vie. »

Le lauréat n'exagère-t-il pas un peu ?

D'abord, dans ce cas précis, les médias, fébriles ou non, n'ont guère besoin d'informations. Ils sont prudents, plus neutres qu'un Suédois. Dans le chapeau présentant un extrait de texte, on précise : « La Route des Flandres que certains considèrent comme le chef-d'œuvre de Claude Simon »… On fait réagir des écrivains : comme le titre La Croix, dans l'ensemble, Tout le monde est content… Et surtout on donne la parole à l'intéressé. Certes, cette parole sort parfois du congélateur. Le Quotidien de Paris du 18 octobre publie des extraits d'un entretien « recueilli il y a dix ans déjà », tandis que Le Monde daté du 19 fait paraître une lettre inédite que l'écrivain avait adressée au journal en 1971. Mais les bons produits, même surgelés, restent nourrissants ; Claude Simon parle de son travail, de son œuvre, de lui, avec une rare clarté et une rarissime modestie.

D'autre part, le nouveau Nobel n'est pas « pratiquement inconnu ». Il est totalement inconnu d'une partie du public, et parfaitement connu d'une frange, sans cesse plus large, de lecteurs curieux de savoir, au risque d'être dérangés dans leurs habitudes, de quelle manière nouvelle, inouïe, un grand écrivain peut dire l'immémoriale condition de l'homme. Cette condition et les façons de l'écrire sont évoquées le 9 décembre dans le discours de Stockholm, qui est comme l'art poétique, impertinent et sincère, du romancier.

Il reste une question, fondamentale. Que change le prix Nobel de littérature dans la vie d'un écrivain ? Cela change tout. Avant 1985, Claude Simon était, on l'a vu, difficile. En 1989, quand il accorde à France-Soir un entretien à l'occasion de la sortie de L'Acacia, où le journal le publie-t-il ? Dans la rubrique France-Soir vous distrait.